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“Depuis quand l’impôt, ce n’est plus le vol ?”, par Ferghane Azihari

Article publié le 12 octobre 2016 sur Contrepoints
Le processus de légitimation de l’impôt a été lent et difficile. Les nombreuses révoltes fiscales qui ont jalonné l’Histoire attestent une défiance à peu près universelle vis-à-vis de l’impôt, défiance qui s’est transformée et démocratisée.
Comment les États ont-ils réussi à inverser le sens des valeurs en faisant passer les impôts pour justes et nécessaires, alors qu’ils étaient historiquement et universellement vécus comme oppressifs et spoliateurs ? La légitimité de l’impôt est aujourd’hui considérée comme une évidence, tout comme sa nécessité. Loin d’être considéré comme un mal nécessaire, l’impôt est même souvent associé à l’idée de justice. La fiscalité désigne l’ensemble des prélèvements effectués par voie d’autorité par un titulaire de la puissance publique. Cela consiste pour un souverain à s’accaparer nos ressources indépendamment de notre consentement pour financer ses dépenses. La capacité de quelques individus à s’affranchir de notre consentement est paradoxalement considérée comme indispensable au maintien d’un ordre civilisé.

Le processus lent et laborieux de légitimation de l’impôt

Cette légitimité ne va pourtant pas de soi. Le processus de légitimation de l’impôt a toujours été lent et laborieux. C’est un phénomène exceptionnel et récent dans l’histoire des sociétés humaines. Les nombreuses révoltes fiscales qui ont jalonné l’Histoire attestent une défiance à peu près universelle vis-à-vis de l’impôt. Le plus remarquable tient à ce que toutes les civilisations et toutes les couches sociales ont été concernées par cette défiance. Elle a visiblement toujours transcendé les contextes sociaux particuliers ainsi que le démontre l’ouvrage de David F. Burc, A World History of Tax Rebellions. Les révoltes fiscales ont parfois été source de bouleversements géopolitiques importants. Les États-Unis, actuelle première puissance du monde, ne sont-ils pas nés d’un contentieux fiscal avec la Couronne britannique ? Et que dire de l’influence de la fiscalité sur le déclin d’un Empire comme Rome ? Pour les plus curieux, je conseille le livre de Charles Adams, For Good and Evil : The Impact of Taxes On The Course Of Civilization. Les États modernes se distinguent des États plus primitifs par leur habilité à institutionnaliser durablement leur domination en la faisant passer pour légitime. Ceux qui nous gouvernent ont plutôt bien réussi. Les révoltes fiscales sont moins nombreuses tandis que nous sommes plus taxés aujourd’hui que les populations sous l’Ancien régime. Comment les gouvernements ont-ils réussi à inverser les valeurs ?

La caution démocratique : vous avez voté et vous avez choisi

Le premier instrument efficace de légitimation de la fiscalité est sans doute le parlementarisme ou plus précisément la démocratie. C’est avec la démocratie que naît le mythe du “consentement à l’impôt”. La démocratie entretient la fiction que la volonté des gouvernements se confond avec la nôtre. Elle dissimule la nature contraignante du pouvoir : “rien ne vous est imposé puisque vous avez voté“. Le suffrage universel ne signifie pourtant pas que le gouvernement agit conformément à notre volonté. L’État se définit justement par sa capacité à s’affranchir légalement de notre consentement. Seul le lien contractuel unissant un mandataire et son mandant légitime une quelconque représentation. Or le lien qui nous unit à la puissance gouvernementale n’est pas contractuel. Le consentement à l’impôt est donc un oxymore. Pour vous en convaincre, essayez de boycotter le fisc, et regardez ce qui vous arrive. Il y a fort à parier que des bureaucrates viendront vous menacer, vous saisir et même vous incarcérer. On a déjà vu plus “consenti” que cela.

Le fantasme nationaliste pour créer l’intérêt national

La démocratie ne suffit pas à asseoir la légitimité du pouvoir. Au 19e siècle se développe en Europe l’idéologie nationaliste. Cette idéologie consiste à dessiner arbitrairement les contours d’une communauté historique et culturelle particulière en vue de l’exercice du pouvoir. Ainsi l’État consolide l’illusion qu’il constitue une émanation naturelle du corps social pour obtenir notre allégeance. L’intérêt national devient une fiction qui sert à justifier tous les caprices gouvernementaux au détriment de nos libertés et de nos droits de propriété.

Le subterfuge bismarckien : la nationalisation de la protection sociale

Le chancelier Otto von Bismarck est le père de l’État-providence à l’européenne. Son coup de génie est d’avoir nationalisé la protection sociale – jadis largement privée – pour accroître la dépendance économique des masses vis-à-vis de la bureaucratie. Une telle stratégie a permis à Bismarck d’étouffer les volontés révolutionnaires de la classe ouvrière pour conforter son pouvoir personnel sur la scène nationale et européenne. L’État-providence a ensuite été exporté et constitue désormais un moyen facile d’acheter la paix sociale. Son développement est décisif pour légitimer la fiscalité dans la mesure où la protection sociale publique sollicite aujourd’hui la majeure partie du budget de l’État. Le sentiment de dépendance économique vis-à-vis de l’administration est visiblement intériorisé dans la mesure où nous n’envisageons plus la solidarité et la protection sociale en dehors de l’État. On en vient à oublier qu’une authentique solidarité ne peut exister qu’au sein d’un régime de libre-association. Les êtres humains n’ont pas attendu l’arrivée des bureaucrates et des politiciens pour épargner et se prémunir contre les risques et les aléas de la vie. [NDLR : savez-vous qu’aujourd’hui encore, il vous est possible de devenir “rentier de l’immobilier”, de vous construire un véritable portefeuille immobilier diversifié, en investissant progressivement ? Non, il ne s’agit pas de parts de SCPI. Il s‘agit de profiter du statut fiscal allégé de loueur en meublé non professionnel et d’acheter des biens correspondant à une catégorie très précise. Tout est ici.]

L’illusion social-démocrate : moins d’inégalités puisque l’État sait mieux que quiconque allouer les ressources

La social-démocratie admet dans une certaine mesure l’utilité d’un certain degré de capitalisme. Elle promet cependant de centraliser certains aspects de la production de richesses et d’assurer des fonctions de redistribution via la fiscalité et les services publics. Les objectifs affichés consistent à modérer les inégalités sociales qui seraient propres au libre-marché tout en assurant une meilleure allocation des ressources. On répondra dans un premier temps qu’il n’y a aucune corrélation entre le niveau d’inégalités économiques et celui de la fiscalité (la République tchèque, le Luxembourg, Malte sont des exemples de pays moins fiscalisés et plus égalitaires que la France). Ensuite, la lutte contre les inégalités économiques est un faux combat. Par exemple, la Chine maoïste était sans doute plus égalitaire que la Chine contemporaine. Je vous garantis cependant que les Chinois ne veulent pas retourner à la période maoïste : ils vivent mieux aujourd’hui en dépit des écarts de richesses. La social-démocratie accorde une importance inutile à l’égalité économique alors qu’elle n’est ni une condition indispensable de la prospérité de tous, ni une condition nécessaire à l’enrichissement des moins bien lotis. La social-démocratie ignore que les politiques égalitaristes détruisent les incitations productives et appauvrissent toute la collectivité, et par conséquent les plus fragiles qu’elle se donne l’ambition de protéger. Enfin la social-démocratie est victime d’un biais scientiste. Elle prétend que des experts enfermés dans des bureaux sont plus aptes que nous à allouer les ressources convenablement, mais une telle entreprise est impossible sans l’existence de prix de marché pour refléter nos préférences. C’est pourquoi les services publics seront toujours moins productifs que des entreprises privées soumises à la concurrence.

La légitimité de la fiscalité reste heureusement incomplète

Malgré tous ces efforts pour légitimer l’impôt subsistent des formes variées de dissidence fiscale. Preuve s’il en faut que l’adhésion au récit politique ne va pas de soi. L’Institut Molinari a estimé le poids de l’économie informelle à 18,9 % du PIB dans l’Union européenne. Des pays comme l’Espagne et la Grèce affichent un taux environ équivalent à un quart du PIB. Il y a fort à parier que beaucoup de personnes ne s’en sortiraient pas s’il n’existait pas une multitude de techniques pour réduire le la pression fiscale. Mais la bureaucratie ne l’entend pas de cette oreille. Elle entend détruire toute dissidence fiscale en réduisant par la force l’utilisation du cash qui permet à cette économie informelle de prospérer. L’absence de cash renforce également le pouvoir des politiques monétaires. Or celles-ci ne sont ni plus ni moins qu’une autre forme de fiscalité plus subtile. La prolifération des monnaies privées décentralisées permet néanmoins de rebattre les cartes. La bureaucratie devrait donc veiller à ne pas abuser de son monopole fiscal et monétaire, sans quoi elle pourrait voir celui-ci s’effriter… Cela ne serait pas plus mal pour la santé de nos économies et de nos finances.
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